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Jondalar pouvait à peine respirer : chaque fois que ses poumons se gonflaient d’air, sa gorge le brûlait. Tout son corps était trempé de sueur. Son point de côté n’avait pas disparu et le faisait toujours terriblement souffrir. Plié en deux, il sentait ses jambes trembler, au point de pouvoir à peine le soutenir lorsqu’il s’approcha du lit, au fond du local. Loup était littéralement collé à lui et, la langue pendante, haletait lui aussi.

— Tiens, Jondalar, assieds-toi là, dit Zelandoni en se levant et en lui montrant son siège.

L’angoisse extrême du jeune homme ne lui avait pas échappé, pas plus que le fait qu’il venait de couvrir en peu de temps une longue distance.

— Va lui chercher de l’eau, ordonna-t-elle à l’acolyte le plus proche. Apportes-en aussi pour le loup.

En se penchant sur elle, Jondalar constata que la peau d’Ayla avait pris une teinte gris pâle rappelant irrésistiblement celle d’un cadavre.

— Oh, Ayla, pourquoi as-tu recommencé ? lança-t-il d’une voix rauque, tout juste capable de parler. Tu as failli en mourir la fois précédente.

Il but une gorgée d’eau, comme par réflexe, réalisant à peine que quelqu’un lui avait mis un gobelet dans la main, puis il grimpa littéralement sur la couche. Là, il repoussa les couvertures, souleva Ayla et la prit dans ses bras, choqué de constater à quel point elle était glacée.

— Elle est toute froide, dit-il avec un hoquet proche du sanglot, sans même se rendre compte que son visage était baigné de pleurs.

Des larmes qu’il aurait d’ailleurs été bien en peine de retenir s’il en avait eu conscience.

Le loup regarda les deux humains sur le lit, leva son museau vers le ciel et se mit à pousser un long hurlement, un cri aigu et prolongé qui donnait le frisson et fit frémir tant les membres de la Zelandonia qui se trouvaient dans le local que toutes les personnes rassemblées à l’extérieur. Ceux qui étaient en train de chanter en perdirent le rythme, leur fugue jusqu’alors continue s’arrêtant brutalement l’espace d’un instant. Ce n’est qu’à cet instant que Jondalar prit conscience que la Zelandonia n’avait pas cessé de psalmodier. Loup s’avança, posa ses deux pattes avant sur le rebord de la couche et se mit à pousser des gémissements pour attirer l’attention de celle qui l’avait recueilli.

— Ayla, Ayla, je t’en conjure, ne me quitte pas, supplia Jondalar. Tu ne peux pas mourir. Qui me donnera un fils ? Oh, Ayla, mais qu’est-ce que je raconte ? Je me fiche bien que tu me donnes un fils. C’est toi que je veux. Je t’aime. Tu peux même cesser de me parler, je m’en moque, à condition que je puisse te voir une fois de temps en temps. Reviens-moi, Ayla. Oh, Grande Mère, ramenez-la-moi. Ramenez-la-moi, je vous en supplie. Je ferai tout ce que vous voudrez, mais ne me l’enlevez pas !

Sous le regard de Zelandoni, ce grand et bel homme dont le visage, les jambes et les bras saignaient, couverts d’égratignures, se mit alors à bercer la femme inerte qu’il tenait dans ses bras, les yeux baignés de larmes, suppliant qu’elle lui revienne. La doniate ne l’avait plus vu pleurer depuis qu’il avait quitté l’enfance. Jondalar ne pleurait jamais, il faisait en sorte de contrôler ses émotions, de les garder pour lui.

Après qu’il fut revenu de son séjour chez Dalanar, elle s’était souvent demandé s’il serait de nouveau capable d’aimer une femme, et se l’était reproché. Elle savait qu’il l’aimait toujours à cette époque et avait été tentée plus d’une fois d’abandonner la Zelandonia pour devenir sa compagne, mais au fil du temps, et en constatant qu’elle ne pouvait pas tomber enceinte, elle avait compris qu’elle avait fait le bon choix. Elle était sûre qu’il trouverait un jour la compagne qui lui conviendrait et, tout en doutant parfois qu’il fût en mesure de lui accorder un amour exclusif, avait la conviction qu’il souhaiterait qu’elle lui donne des enfants. Des enfants qu’il pourrait aimer librement, complètement, sans la moindre réserve, un amour qu’il pourrait enfin épancher comme il le souhaitait.

Elle avait été réellement ravie pour lui lorsqu’il était revenu de son long voyage avec une femme qu’il aimait de toute évidence, une femme digne de son amour. Mais jamais jusqu’alors elle n’avait réalisé à quel point il l’aimait. La Première sentit une pointe de remords : peut-être n’aurait-elle pas dû inciter si fortement Ayla à devenir Zelandoni. Peut-être aurait-elle dû les laisser tous les deux en paix. Mais, après tout, c’était le choix de la Mère…

— Elle est toute froide. Pourquoi est-elle si froide ? gémissait Jondalar.

Il s’étendit de tout son long sur la litière, se coucha à côté d’elle puis recouvrit du sien le corps nu de sa compagne avant de ramener sur eux les couvertures. Le loup les rejoignit sur la couche et s’allongea à son tour à la droite de la femme. La chaleur de Jondalar se diffusa rapidement dans le faible espace, avec celle de l’animal. L’homme serra sa compagne contre lui un long moment, la regardant, embrassant son visage pâle et immobile, lui parlant, la suppliant, priant la Mère qu’elle lui revienne… Et au bout d’un long moment sa voix, ses pleurs, la chaleur de son corps ainsi que celle du loup parvinrent à pénétrer jusqu’aux profondeurs les plus secrètes d’Ayla.

 

 

Ayla pleurait en silence. « C’est toi qui l’as fait ! C’est toi qui l’as fait ! » l’accusaient les voix en chantant. Puis il n’y eut plus que Jondalar, là, devant elle. Elle entendit un loup hurler non loin.

« Je regrette, Jondalar ! cria-t-elle. Je regrette de t’avoir fait du mal ! »

« Ayla ! suffoqua-t-il en lui tendant les bras. Ayla, je t’aime. Donne-moi un fils ! »

Elle se dirigea vers la silhouette de Jondalar et de Loup, qui se trouvait à ses côtés, puis se mit à cheminer entre eux, jusqu’à ce qu’elle sente quelque chose qui l’attirait. Et soudain elle commença à se mouvoir, vite, très vite, beaucoup plus vite qu’auparavant, tout en se sentant clouée sur place. Les mystérieux nuages semblant provenir d’un autre monde apparurent et disparurent en un clin d’œil, qui lui fit pourtant l’effet d’une éternité. Le néant d’un noir profond réapparut, l’enveloppant dans un vide d’une obscurité qui elle non plus n’était pas de ce monde. Un moment qui semblait ne jamais devoir prendre fin. Puis elle se sentit tomber dans la brume et, l’espace d’un instant, se vit dans un lit entouré de lampes, en compagnie de Jondalar, avant de se retrouver brutalement à l’intérieur d’une coquille où régnait une humidité glaciale. Elle essaya bien de bouger, mais elle était si raide, et elle avait si froid… Finalement, ses paupières se mirent à battre : elle ouvrit les yeux et aperçut le visage baigné de larmes de l’homme qu’elle aimait, juste avant de sentir la langue chaude et râpeuse du loup qui léchait ses joues.

 

 

— Ayla ! Ayla ! fit Jondalar, un sanglot gonflant sa poitrine. Tu es de retour ! Zelandoni ! Elle est réveillée ! Oh Doni, Grande Mère, merci ! Merci de me l’avoir rendue !

Il la tenait dans ses bras, pleurant de soulagement et d’amour, craignant de lui faire mal en la serrant trop fort, mais ne voulant surtout pas la lâcher. Ce qu’elle ne souhaitait pas plus que lui.

Finalement, il relâcha son étreinte pour laisser la doniate la regarder.

— Descends maintenant, Loup, dit-il en poussant l’animal vers l’extrémité de la couche. Tu l’as bien aidée, maintenant laisse Zelandoni la voir.

Le loup sauta du lit et s’assit sur le plancher pour les regarder.

La Première parmi Ceux Qui Servent se pencha sur Ayla et, voyant celle-ci la fixer de ses beaux yeux gris-bleu et lui prodiguer un sourire las, eut un hochement de tête stupéfait.

— Jamais je n’aurais cru cela possible, dit-elle. J’étais sûre qu’elle était partie, partie pour toujours dans un lieu d’où l’on ne peut jamais revenir, où je n’aurais moi-même jamais pu aller la retrouver pour la conduire à la Mère. Je craignais que les chants ne servent à rien, qu’il n’y ait rien que nous puissions entreprendre pour la sauver. Je doutais que quoi que ce soit puisse la ramener parmi nous, ni mes espérances les plus vives, ni les souhaits ardents de chacun des Zelandonii, ni même ton amour, Jondalar. Tous les membres de la Zelandonia ensemble n’auraient pu obtenir ce que tu as réussi à faire. Je suis presque prête à croire que tu aurais pu la tirer des tréfonds les plus inaccessibles du domaine de Doni. J’ai toujours dit que la Grande Terre Mère ne refuserait jamais d’accéder à aucune de tes requêtes. Je crois que la preuve vient d’en être administrée sous nos yeux.

La nouvelle se répandit dans le campement comme un feu de broussailles : Jondalar venait de ramener Ayla. Jondalar avait réussi ce que tous les membres de la Zelandonia réunis avaient été incapables d’obtenir. Parmi toutes les femmes assistant à la Réunion d’Été, il n’y en avait pas une seule qui ne souhaitât au plus profond de son cœur être l’objet d’un amour aussi profond ; et pas un seul homme qui ne souhaitât connaître une femme qu’il fût capable d’aimer à ce point. On commençait déjà à élaborer des histoires, de celles que l’on raconterait des années durant autour des feux de camp, ou des âtres des foyers, des histoires tournant autour de l’amour de Jondalar, un amour si grand qu’il avait réussi à faire revenir Ayla du Monde d’Après.

Jondalar songeait à ce que venait de dire Zelandoni à son propos : il l’avait déjà entendue prononcer ce genre de chose, et n’était pas absolument sûr de ce que cela signifiait exactement, mais le fait de s’entendre dire qu’il était si favorisé par la Mère qu’aucune femme ne pouvait rien lui refuser, y compris Doni Elle-Même, le laissait quelque peu mal à l’aise.

 

 

Durant les quelques jours qui suivirent, Ayla était tellement épuisée, au point d’être à peine capable de remuer, qu’à certains moments la doniate se demanda si la jeune femme serait en mesure de se remettre complètement de l’épreuve qu’elle venait de subir. Elle dormait beaucoup, parfois complètement inerte, parfois d’un sommeil agité.

Il lui arrivait ainsi de sombrer dans des accès de délire : elle se tournait et se retournait alors sans cesse, parlait tout haut dans son sommeil, mais chaque fois qu’elle rouvrait les yeux Jondalar était là, à ses côtés. Il ne l’avait pas quittée depuis qu’elle s’était réveillée, sinon pour des besoins élémentaires. Il dormait sur ses fourrures de nuit qu’il étendait par terre, près de sa couche.

Chaque fois qu’elle paraissait faiblir, Zelandoni se demandait si, au bout du compte, Jondalar n’était pas l’unique lien qui la rattachait au monde des vivants. C’était en effet le cas, même s’il convenait d’y ajouter sa volonté bien ancrée de continuer à vivre, ainsi que ses années de chasse et d’exercice physique qui l’avaient dotée d’un corps sain et solide capable de se remettre d’expériences particulièrement éprouvantes.

Loup passait lui aussi l’essentiel de ses journées auprès d’elle, et semblait deviner les moments où elle était sur le point de se réveiller. Après que Jondalar l’eut empêché de sauter sur le lit et d’y poser ses pattes sales, l’animal avait découvert que la couche était tout juste assez haute pour lui permettre de poser sa tête sur le bord et de la regarder juste avant qu’elle n’ouvre les yeux. Jondalar et Zelandoni n’avaient plus dès lors qu’à l’observer pour prévoir le moment de son réveil.

Jonayla était si contente que sa mère se soit éveillée, et que Jondalar et elle se retrouvent ensemble, qu’elle venait souvent leur tenir compagnie dans le local de la Zelandonia. Elle n’y passait jamais la nuit mais, si aucun des deux ne dormait, elle restait un moment avec eux, confortablement installée dans le giron de Jondalar, ou allongée à côté de sa mère, faisant même à l’occasion un petit somme avec elle. Il lui arrivait également de ne faire une apparition que pour un court instant, comme pour avoir la confirmation que tout se passait toujours pour le mieux. Après qu’elle se fut suffisamment rétablie, Ayla envoyait souvent Loup raccompagner Jonayla, même si, au début en tout cas, l’animal était partagé entre le désir de rester avec la jeune femme et celui de suivre la fillette.

Même la doniate n’était jamais bien loin. La Première continuait de se reprocher de n’avoir pas veillé sur la jeune femme avec l’attention qu’elle méritait dès le moment où elle était revenue. Il est vrai que ces Réunions d’Été sollicitaient l’essentiel de son temps et de son attention et que, par ailleurs, elle avait toujours eu le plus grand mal à décrypter le comportement d’Ayla, qui ne parlait que très rarement d’elle-même ou de ses problèmes, et ne cachait que trop bien ses sentiments profonds. Autrement dit, il était aisé de passer à côté de ses manifestations de mal-être.

 

 

Ayla leva la tête et sourit au géant à la chevelure et à la barbe aussi rousses que touffues qui la regardait avec attention. Bien qu’elle ne fût pas encore tout à fait rétablie, on l’avait ramenée au campement de la Neuvième Caverne. Elle était réveillée quand, un peu plus tôt, Jondalar lui avait dit que Danug avait émis le souhait de lui rendre visite, mais elle s’était assoupie un petit moment avant d’entendre quelqu’un prononcer son nom d’une voix douce. Jonayla sur ses genoux, Jondalar était assis à côté d’elle et lui tenait la main. Loup battit le sol de sa queue pour saluer à sa manière l’arrivée du jeune Mamutoï.

— Je suis chargé de te dire, Jonayla, que Bokovan et d’autres enfants vont au foyer de Levela pour y jouer et y manger quelque chose, dit Danug. Elle a également gardé des os pour Loup.

— Pourquoi ne les rejoindrais-tu pas avec Loup, Jonayla ? dit Ayla en se redressant. Ils ont sûrement hâte de te voir, et cette Réunion d’Été est sur le point de se terminer. Une fois que nous serons rentrés chez nous, tu ne les reverras sans doute pas avant l’été prochain.

— Bien, mère. De toute façon, j’ai faim et je pense que Loup mangerait bien quelque chose, lui aussi.

La fillette étreignit son père et sa mère avant de se diriger vers l’entrée de la hutte, Loup sur ses talons. L’animal poussa un petit gémissement à l’intention d’Ayla avant de quitter les lieux et de rejoindre Jonayla.

— Assieds-toi, Danug, invita Ayla en désignant un siège au nouveau venu. Mais où est Druwez ? s’étonna-t-elle.

Le jeune Mamutoï prit place à côté d’Ayla.

— Aldanor avait besoin d’un ami qui ne soit pas un parent pour quelque chose ayant un rapport avec les prochaines Matrimoniales. Druwez a accepté de jouer ce rôle, puisque je suis désormais considéré comme un parent d’adoption, expliqua-t-il.

Jondalar fit un signe de tête expliquant qu’il avait compris le dilemme.

— Ce n’est pas commode d’apprendre toute une nouvelle série de coutumes, dit-il. Je me souviens de ce qui s’est passé quand Thonolan a décidé de prendre Jetamio pour compagne. Comme j’étais son frère, je devenais apparenté moi aussi aux Sharamudoï. Et comme j’étais son unique parent, je devais absolument être partie intégrante de la cérémonie.

Même si, maintenant, il était en mesure de parler plus facilement du frère qu’il avait perdu, Ayla remarqua le regret que reflétait le visage de son compagnon. Elle savait que jamais il ne pourrait penser à lui sans éprouver une profonde tristesse.

Jondalar se rapprocha d’Ayla et la prit dans ses bras. Danug leur sourit à tous deux.

— J’ai d’abord quelque chose de grave à dire, commença-t-il avec une sévérité feinte. Quand allez-vous tous les deux comprendre que vous vous aimez ? Vous devez cesser de vous créer des problèmes qui n’ont pas lieu d’être. Écoutez-moi avec attention : Ayla aime Jondalar, et n’en aime aucun autre ; Jondalar aime Ayla, et n’en aime aucune autre. Vous pensez être capables de vous mettre ça dans la tête ? Pour l’un comme pour l’autre, vous serez le seul, ou la seule, et l’unique. Je vais édicter une règle que vous devrez respecter jusqu’à la fin de vos jours : je me moque que chacun puisse s’accoupler avec celui ou celle qu’il veut, vous ne pourrez dans votre cas vous accoupler que l’un avec l’autre. Si on m’apprend que vous avez enfreint cette règle, je reviendrai ici vous attacher solidement l’un à l’autre. C’est bien compris ?

— Oui, Danug, répondirent Jondalar et Ayla d’une même voix.

La jeune femme se tourna pour adresser un sourire à son compagnon, qui le lui rendit, puis tous deux sourirent à l’unisson à Danug.

— Et je vais te dire un secret, annonça Ayla. Le plus tôt possible, nous allons tous les deux concevoir un bébé…

— Bientôt, mais pas tout de suite, intervint Jondalar. Pas avant que Zelandoni ait décidé que tu étais suffisamment rétablie pour cela. Mais ce jour-là, femme, tu vas voir ce que tu vas voir.

— Je me demande quel Don est le plus appréciable, fit Danug avec un large sourire. Celui du Plaisir, ou celui de la Connaissance. À mon avis, la Mère doit nous aimer beaucoup pour que la conception d’une vie nouvelle soit un tel Plaisir !

— Tu as bien raison, approuva Jondalar.

— J’ai essayé de traduire le Chant de la Mère des Zelandonii en mamutoï afin de pouvoir le faire connaître à tout le monde, et dès mon retour je vais me mettre en quête d’une compagne afin de pouvoir concevoir un fils… commença Danug.

— Tu as quelque chose contre les filles ? le coupa Ayla.

— Rien, à ceci près que ce n’est pas moi qui pourrai lui donner un nom. Je veux un fils afin de pouvoir le nommer. Je n’ai jamais nommé un enfant jusqu’à présent, expliqua Danug.

— Mais tu n’as jamais eu d’enfant à nommer jusqu’à présent, le contra Ayla en éclatant de rire.

— Oui, c’est vrai, admit Danug, légèrement contrarié. Pour autant que je le sache, en tout cas, mais tu comprends bien ce que je veux dire. Je n’en ai jamais eu l’occasion, jusqu’à présent.

— Je comprends ce qu’il ressent, intervint Jondalar. Je me moque bien de savoir si notre prochain enfant sera un garçon ou une fille, mais je me demande l’effet que ça ferait de donner son nom à un fils… Dis-moi, Danug, que se passera-t-il si les Mamutoï n’acceptent pas l’idée que les hommes nomment leurs fils ?

— Je devrai simplement m’assurer que la femme que je déciderai de prendre pour compagne sera d’accord, dit Danug.

— Très juste, approuva Ayla. Mais dis-moi, Danug, pourquoi attendre de retourner chez toi pour trouver une compagne ? Pourquoi ne resterais-tu pas avec nous, comme Aldanor ? Je suis certaine que tu pourrais trouver une Zelandonii qui serait ravie de devenir ta compagne.

— Il est certain que les femmes zelandonii sont très belles, mais à beaucoup d’égards je suis comme Jondalar : j’adore voyager, mais j’ai besoin de retourner chez moi pour m’installer. Et puis, il n’y a ici qu’une femme pour qui je resterais volontiers afin de la prendre pour compagne, Ayla, reprit le Mamutoï en adressant à Jondalar un clin d’œil complice. Et elle est déjà prise, apparemment.

Jondalar eut un petit rire mais une lueur dans l’œil de Danug, une nuance dans le ton de sa voix conduisirent Ayla à se demander si cette déclaration faite sur le ton de la plaisanterie ne recelait pas plus qu’une parcelle de vérité.

— Je suis simplement heureux qu’elle ait accepté de m’accompagner chez les miens, dit Jondalar, la regardant de ses beaux yeux bleus d’une telle façon qu’elle se sentit émoustillée jusque dans son intimité la plus secrète. Danug a raison. Doni doit vraiment nous aimer pour avoir fait de la conception des enfants un Plaisir aussi intense.

— Pour une femme, il n’y a pas que le seul Plaisir, Jondalar, dit Ayla. Donner la vie est parfois extrêmement douloureux.

— Mais je croyais que tu m’avais dit que donner la vie à Jonayla ne t’avait pas demandé d’efforts, s’étonna Jondalar, le front marqué de son pli désormais familier.

— Même un accouchement sans problème n’est pas totalement indolore, Jondalar, expliqua Ayla. C’était simplement moins douloureux que je ne m’y attendais.

— Je ne veux surtout pas que tu souffres à cause de moi, s’inquiéta-t-il en se tournant vers elle pour la regarder droit dans les yeux. Tu es sûre que nous devons avoir un autre bébé ?

Jondalar venait de se rappeler que la compagne de Thonolan était morte en accouchant.

— Ne dis pas de bêtises, Jondalar. Bien sûr que nous allons en avoir un autre. Je le veux, moi aussi, tu sais. Tu n’es pas le seul. Et ce n’est pas si terrible. Cela dit, si tu n’as pas envie d’en concevoir un, je peux peut-être trouver un autre homme qui y sera disposé, dit-elle avec un sourire malicieux.

— Ça, c’est absolument impossible, répliqua Jondalar en lui serrant l’épaule. Danug vient de te dire que tu ne pourras t’accoupler avec aucun autre que moi, tu l’as déjà oublié ?

— Jamais je n’ai voulu m’accoupler avec un autre que toi, Jondalar. Tu es celui qui m’a appris le Don du Plaisir que nous a accordé la Mère. Personne ne pourrait m’en donner plus que tu ne le fais, peut-être parce que je t’aime passionnément, dit Ayla.

Jondalar se détourna pour cacher les larmes qui lui venaient aux yeux, mais Danug avait pris soin de regarder ailleurs et fit semblant de ne rien avoir remarqué. Quand Jondalar se retourna, il fixa Ayla et lui dit, avec le plus grand sérieux :

— Je ne t’ai jamais dit à quel point j’étais désolé, pour Marona. Ce n’est pas que j’avais vraiment envie d’elle, mais elle s’est montrée si disponible… Je ne voulais pas te le dire parce que je craignais de te blesser. Quand tu nous as surpris tous les deux, je n’ai pas cessé de me dire que tu devais me détester. Mais ce que je veux que tu saches, c’est que je n’aime que toi.

— Je sais que tu m’aimes, Jondalar, répliqua Ayla. Tous les participants à cette Réunion d’Été le savent, eux aussi. Je ne serais pas là si ce n’était pas le cas. Malgré ce que vient de dire Danug, sache que si tu en éprouves le besoin, ou même simplement le désir, tu peux t’accoupler avec qui tu le souhaites, Jondalar. Et je n’éprouve plus la moindre rancune envers Marona. Je ne lui en veux pas de t’avoir désiré. Quelle femme n’aurait pas envie de toi ? Partager le Don du Plaisir ne revient pas à aimer quelqu’un. C’est ce qui donne les bébés, mais pas l’amour. L’amour peut rendre les Plaisirs encore plus intenses, mais lorsqu’on aime quelqu’un, quelle différence cela peut-il bien faire si la personne en question s’accouple avec une autre ? Comment un accouplement, qui ne dure qu’un moment plus ou moins long, pourrait-il être plus important qu’un amour de toute une vie ? Même au sein du Clan, un homme pouvait s’accoupler simplement pour satisfaire ses besoins. Tu ne t’attendrais tout de même pas à me voir briser notre lien juste sous prétexte que tu t’es accouplé avec une autre, j’espère ?

— Si c’était une raison suffisante, intervint Danug en riant, tout le monde devrait briser ses liens. Beaucoup de gens attendent avec impatience les Fêtes pour honorer la Mère afin de partager les Plaisirs avec d’autres une fois de temps en temps. J’ai entendu raconter que Talut pouvait ainsi s’accoupler successivement avec une demi-douzaine de femmes différentes à l’occasion de ces Fêtes. Mère avait l’habitude de dire que cela lui permettait de voir si un autre homme était en mesure de l’égaler. Personne n’y est jamais arrivé.

— Talut est bien plus puissant que je ne le suis, dit Jondalar. Il y a quelques années, je ne dis pas, mais je n’ai plus la vigueur nécessaire aujourd’hui. Et pour dire la vérité, je n’en éprouve pas, ou plus, le désir.

— Ce ne sont d’ailleurs peut-être que des histoires, reprit Danug. Je dois dire que, personnellement, je ne l’ai jamais vu avec une autre femme qu’avec mère. Il passe beaucoup de temps avec d’autres responsables de Camps, et quant à elle, elle consacre l’essentiel de son temps à rendre visite à des parents et à des amis durant ces Réunions. Si vous voulez mon avis, la plupart des gens adorent se raconter des histoires.

La conversation s’arrêta un moment, durant lequel les trois jeunes gens échangèrent des regards entendus.

— Je n’irais pas jusqu’à briser le lien pour cette seule raison, reprit Danug, mais en toute honnêteté je préfère que la femme que je prendrai pour compagne ne s’accouple pas avec un autre que moi.

— Même pendant les Fêtes en l’honneur de la Grande Terre Mère ? demanda Jondalar.

— Je sais que nous sommes tous censés honorer la Mère à l’occasion de ces Fêtes, répondit Danug, mais comment saurai-je que les enfants que ma compagne apporte à mon foyer sont bien les miens si elle partage les Plaisirs avec un autre homme ?

Ayla les regarda tous les deux et se rappela les paroles de la Première :

— Si un homme aime les enfants qu’une femme apporte à son foyer, pourquoi le fait de savoir qui les a conçus ferait une différence ?

— Ça ne devrait sans doute pas en faire, mais je voudrais quand même être sûr que ce sont les miens, insista Danug.

— Si tu conçois un enfant, est-ce que cela signifie qu’il est à toi ? Qu’il t’appartient, comme un bien personnel ? demanda Ayla. N’aimerais-tu pas un enfant qui ne t’appartiendrait pas, Danug ?

— Quand je dis « à moi », cela ne veut pas dire que j’en revendiquerais la propriété, cet enfant serait mien en ce sens qu’il viendrait de moi, tenta d’expliquer le Mamutoï. Je serais sans doute capable d’apprendre à aimer n’importe quel enfant de mon foyer, y compris ceux qui ne viendraient pas de moi, ni même de ma compagne. J’aimais Rydag comme un frère, et même plus encore, alors qu’il n’était ni à Talut ni à Nezzie, mais tout de même j’aimerais bien savoir si tel enfant de mon foyer a bien été conçu par moi. Une femme n’a pas ce genre de préoccupation. Elle sait toujours.

— Je comprends ce que ressent Danug, Ayla, intervint Jondalar. Je suis content de savoir que Jonayla a été conçue par moi. Et tout le monde sait que c’est bien le cas parce que personne n’ignore que tu n’as jamais choisi un autre que moi. Nous avons toujours honoré la Mère à l’occasion des Fêtes, mais nous nous sommes toujours choisis l’un l’autre.

— Je me demande si vous seriez l’un comme l’autre aussi désireux d’avoir des enfants à vous si vous pouviez partager la douleur de votre compagne pour les mettre au monde, dit Ayla. Certaines femmes seraient heureuses de ne jamais avoir à faire des enfants. Elles ne sont pas nombreuses, mais il y en a.

Les deux hommes échangèrent un regard, mais sans oser affronter directement Ayla, visiblement un peu gênés par cette notion qui entrait à l’évidence en contradiction avec les croyances et les coutumes de leurs peuples respectifs.

— À propos, avez-vous entendu dire que Marona allait reprendre un compagnon ? lança Danug, histoire de changer de sujet.

— Vraiment ? s’étonna Jondalar. Non, je n’étais pas au courant. Quand cela ?

— Dans quelques jours, à l’occasion des dernières Matrimoniales de la saison, quand Folara et Aldanor noueront le lien, répondit Proleva, qui venait d’entrer, suivie par Joharran.

— C’est ce que m’a dit Aldanor, confirma Danug.

On échangea des saluts, les deux femmes s’étreignirent, et le chef de la Neuvième Caverne se pencha pour toucher la joue d’Ayla de la sienne. On approcha des tabourets du lit sur lequel reposait la jeune femme.

— Et qui sera son prochain compagnon ? s’enquit celle-ci après que chacun se fut installé pour entendre la suite de cette surprenante révélation.

— Un ami de Laramar, qui était installé avec lui et d’autres de ses amis dans cette lointaine réservée aux hommes seuls, et qui est d’ailleurs abandonnée maintenant, annonça Proleva. C’est un étranger, mais un Zelandonii, si j’ai bien compris.

— Il est originaire d’un groupement de Cavernes installées le long de la Grande Rivière, à l’ouest d’ici. J’ai entendu dire qu’il était venu à notre Réunion d’Été avec un message pour quelqu’un, et qu’il a décidé de rester. Je ne sais pas s’il les connaissait d’avant, mais apparemment il s’est fort bien entendu avec Laramar et sa bande de copains, expliqua Joharran.

— Ah oui, je crois voir de qui il s’agit, dit Jondalar.

— Depuis qu’ils ont quitté cette tente, il s’est installé au campement de la Cinquième Caverne, tout comme Marona, d’ailleurs. C’est là qu’il a fait sa connaissance, précisa Proleva.

— Je ne pensais pas que Marona souhaitait reprendre un compagnon, fit Jondalar. Si c’est celui à qui je pense, il me paraît bien jeune. Je me demande pour quelle raison c’est lui qu’elle aurait choisi…

— Elle n’avait peut-être pas vraiment le choix, glissa Proleva.

— Mais tout le monde dit qu’elle est si belle qu’elle peut avoir presque tous les hommes qu’elle veut ! s’étonna Ayla.

— Pour une nuit, mais pas pour une vie, intervint Danug. J’ai entendu certaines rumeurs. Les hommes qu’elle a eus pour compagnons ne disent pas grand bien d’elle.

— Et elle n’a jamais eu d’enfants, dit Proleva. À ce qu’on dit, elle serait incapable d’en avoir. Certains hommes pourraient la trouver moins désirable pour cette raison, mais je suppose que cela n’a guère d’importance aux yeux de celui qui l’a choisie. Elle a l’intention de le suivre dans sa Caverne.

— Je crois l’avoir rencontré quand je rentrais un soir avec Echozar du campement des Lanzadonii, dit Ayla. Je ne peux pas dire qu’il m’ait fait grande impression. Pourquoi donc a-t-il quitté la lointaine des hommes seuls ?

— Ils sont tous partis après avoir découvert que leurs affaires avaient disparu, expliqua Joharran.

— Ah oui, j’ai entendu parler de ça, intervint Jondalar, mais il est vrai que, sur le moment, je n’y ai pas vraiment prêté attention.

— On a pris des choses ? interrogea Ayla.

— Oui, quelqu’un a pris des affaires personnelles appartenant à presque tous les occupants de cette tente, confirma Joharran.

— Mais pourquoi quelqu’un aurait-il fait cela ? s’étonna Ayla.

— Je l’ignore. En tout cas, Laramar a été furieux de découvrir qu’un vêtement d’hiver dont il venait de faire l’acquisition avait disparu, de même d’ailleurs que son sac à porter et presque tout son barma. Un autre occupant de la tente n’a pas retrouvé ses mitaines toutes neuves, un autre un bon couteau, et par ailleurs la quasi-totalité de la nourriture s’était volatilisée, ajouta Joharran.

— Et on sait qui a fait cela ? demanda Jondalar.

— Deux personnes ont disparu : Brukeval et Madroman, répondit Joharran. Brukeval est parti sans rien, d’après ce qu’on sait. Les autres occupants de la tente affirment que presque toutes ses affaires étaient encore là après son départ, mais que, ensuite, la plupart avaient disparu, de même que les affaires de Madroman.

— J’ai entendu Zelandoni dire à quelqu’un que Madroman n’avait pas restitué les objets sacrés qu’il avait reçus en sa qualité d’acolyte, intervint Proleva.

— Je l’ai vu partir ! s’exclama Ayla, retrouvant soudain la mémoire.

— Quand ? s’enquit Joharran.

— Le jour où la Neuvième Caverne a partagé un festin avec les Lanzadonii. J’étais la seule à être restée au campement, et je sortais tout juste du bâtiment. Il m’a jeté un regard si lourd de haine que j’en ai eu des frissons, mais il semblait très pressé. Je me rappelle m’être dit qu’il avait quelque chose de bizarre. Puis je me suis rendu compte que je ne l’avais pratiquement jamais vu sans sa tunique d’acolyte, or cette fois-là il était vêtu normalement. Mais j’ai trouvé étrange que ses vêtements portent les symboles de la Neuvième Caverne, et pas de la Cinquième.

— C’est de là que provenait le nouveau costume de Laramar, dit Joharran. Je me demande si c’était celui-là…

— Tu crois que c’est Madroman qui l’a pris ?

— J’en suis sûr, de même que tous les autres objets qui ont disparu.

— Je crois que tu as raison, Joharran, dit Jondalar.

— À mon avis, après la honte d’avoir été rejeté par la Zelandonia, il n’a pas voulu affronter le regard des autres, en tout cas de ceux qui le connaissaient, intervint Danug.

— Je me demande où il a bien pu aller, fit Proleva.

— Il va sans doute essayer de trouver des gens dont il pourrait partager la vie, dit Joharran. C’est la raison pour laquelle il a pris tout ça. Il sait que l’hiver approche et il se demandait sans doute où il pourrait s’installer.

— Mais qu’est-ce qu’il peut bien trouver pour inciter des étrangers à l’accepter ? Il ne sait pas faire grand-chose et n’a jamais été vraiment chasseur, dit Jondalar. À ce que j’ai entendu dire, il n’a jamais participé à une partie de chasse après qu’il eut rejoint la Zelandonia, pas même à un rabattage.

— Et pourtant tout le monde en est capable, et tout le monde le fait, dit Proleva. Les enfants adorent partir en expédition et battre les buissons, faire beaucoup de bruit pour faire peur aux lapins et aux autres animaux, et les obliger à courir vers les chasseurs ou à se précipiter dans les filets.

— Mais si, Madroman est capable de faire quelque chose, intervint Joharran. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’a pas restitué les objets sacrés que la Zelandonia lui avait confiés. Oui, je suis sûr que c’est cela qu’il va faire : il va devenir Zelandoni.

— Mais il ne l’est pas, et il ne peut plus l’être ! s’insurgea Ayla. Il a menti en prétendant avoir été appelé !

— S’il tombe sur des étrangers, ceux-ci ne le sauront pas, expliqua Joharran.

— Il fricote avec la Zelandonia depuis si longtemps qu’il sait quel comportement adopter pour se faire passer pour l’un des siens. Il n’hésitera pas à mentir de nouveau, avança Proleva.

— Tu crois vraiment qu’il serait capable de faire ça ? demanda Ayla, consternée à cette idée.

— Il faut que tu dises à Zelandoni que tu l’as vu partir, Ayla, dit Proleva.

— Et les autres responsables des Cavernes doivent eux aussi être mis au courant, insista Joharran. Nous devrions peut-être soulever le sujet avant la réunion de demain te concernant, Jondalar. Cela donnera au moins l’occasion aux gens de parler d’autre chose que de toi.

— Si vite ? s’inquiéta Ayla en ouvrant de grands yeux. Il faudra absolument que je sois là, Proleva.

 

 

Ils se trouvaient un peu à l’extérieur, dans les premiers rangs, tout en bas du vaste amphithéâtre naturel. Laramar était assis et, bien que son visage fût encore enflé, il semblait avoir pour l’essentiel récupéré de la raclée reçue des mains de l’homme qui se trouvait en face de lui, si l’on exceptait ses cicatrices et son nez cassé, dont les traces ne disparaîtraient pas de sitôt. Debout sous le soleil brûlant de ce début d’après-midi, Jondalar essaya de demeurer impassible en regardant l’homme dont le visage était si gravement meurtri. S’ils ne l’avaient pas connu depuis si longtemps, jamais ses amis ne l’auraient reconnu. Au début, le bruit avait couru que Laramar risquait de perdre un œil, et Jondalar était soulagé qu’il n’en fût rien.

Cette réunion devait en principe regrouper les Neuvième et Cinquième Cavernes, les membres de la Zelandonia devant jouer les médiateurs, mais dans la mesure où toutes les parties intéressées étaient libres d’y assister la quasi-totalité des participants à la Réunion d’Été avaient manifesté leur « intérêt », par pure curiosité. Bien que la Neuvième Caverne eût préféré retarder quelque peu cette confrontation, après la fin de la Réunion d’Été des Zelandonii par exemple, la Cinquième Caverne avait insisté pour qu’elle ait lieu au plus vite. Dans la mesure où on lui demandait d’accueillir Laramar en son sein, elle voulait savoir quelle compensation ils – elle et Laramar – obtiendraient de la part de Jondalar et de la Neuvième Caverne.

Jondalar et Laramar s’étaient retrouvés, pour la première fois depuis l’incident et juste avant la réunion publique, dans l’abri de la Zelandonia, en présence de Joharran, de Kemordan, le chef de la Cinquième Caverne, du ou de la Zelandoni de chacune des autres Cavernes, ainsi que de plusieurs autres responsables et membres de la Zelandonia. Sachant que Marthona était quelque peu affaiblie, on lui avait fait savoir que sa présence à cette réunion de préparation n’était pas indispensable, en particulier dans la mesure où la mère de Laramar n’était plus de ce monde, mais elle n’avait rien voulu savoir : Jondalar était son fils et elle voulait absolument être là. Les compagnes des protagonistes, elles, n’avaient pas eu la possibilité d’y assister, car leur présence aurait pu créer de nouvelles complications : Ayla parce qu’elle avait joué un grand rôle dans l’incident, et la compagne de Laramar parce qu’elle ne souhaitait pas aller s’installer avec lui au sein de la Cinquième Caverne, un autre aspect qu’il allait bien falloir traiter par la suite.

Jondalar se hâta de faire savoir à quel point il était désolé, combien il regrettait ses actes, mais Laramar traita par le mépris le grand et bel homme qui était le frère du chef de la Neuvième Caverne. C’était l’une des premières fois de sa vie que Laramar avait le beau rôle : il était dans son bon droit, n’avait absolument rien fait de mal, et il n’avait en conséquence nullement l’intention de céder tout ou partie de son avantage.

Lorsque les participants à la première moitié de la réunion quittèrent la hutte de la Zelandonia, une rumeur diffuse circula dans l’assistance : Ayla avait vu Madroman quitter le campement vêtu d’habits qu’il avait très probablement volés à Laramar. Celle-ci fut rapidement suivie de diverses spéculations quant aux ramifications possibles : l’histoire passée de Jondalar et de la Première avec Madroman, son éviction de la Zelandonia et le rôle qu’y avait joué Ayla, la raison pour laquelle elle avait été la seule à l’avoir vu partir. Les participants s’installèrent confortablement, attendant avec une impatience gourmande la suite des événements : ils n’avaient que très rarement l’occasion d’assister à un drame aussi intense. Décidément cet été se révélait riche en incidents excitants qui fourniraient non seulement d’excellents sujets de discussion pour les longues soirées d’hiver, mais aussi de la matière susceptible d’épicer bien des histoires pour les saisons à venir.

— Nous avons aujourd’hui à résoudre plusieurs questions d’importance, commença la Première. Ce ne sont pas des affaires d’ordre spirituel, mais des problèmes opposant des enfants de la Mère ; c’est pourquoi nous demandons à Doni de suivre nos délibérations et de nous aider à faire éclater la vérité, à penser clairement et à prendre de justes décisions.

Elle sortit d’un sac une petite figurine sculptée, qu’elle présenta à la foule. C’était la statuette d’une femme dont les jambes se terminaient par des pieds qui n’étaient qu’à peine suggérés. Bien qu’ils fussent dans l’incapacité de distinguer clairement l’objet qu’elle tenait dans sa main, tous les participants savaient qu’il s’agissait d’une donii, une représentation abritant l’esprit omniscient de la Grande Terre Mère, ou en tout cas une partie essentielle de Sa nature. Quelque chose comme un grand cairn, presque aussi droit qu’un pilier, constitué de grosses pierres et dont le sommet aplani était recouvert de gravier sablonneux, avait été érigé au centre de l’amphithéâtre.

D’un geste théâtral, la Première planta les pieds de la statuette dans le gravier et la redressa afin que chacun puisse la voir. Dans ce contexte, l’objectif premier de cet objet sacré était d’empêcher les mensonges délibérés, et son effet était, de fait, puissamment dissuasif. Lorsqu’on invoquait expressément l’esprit de la Mère pour lui demander d’être témoin de ce qui allait suivre, chacun savait qu’Elle découvrirait les mensonges qui seraient proférés et qu’Elle les dévoilerait aussitôt comme tels. On pouvait certes mentir et s’en tirer, mais ce ne pouvait être que provisoire : au bout du compte, la vérité finirait par éclater, en général avec des répercussions terribles. En l’occurrence, il y avait cette fois peu de risques de voir quelqu’un proférer des mensonges, mais la statuette inciterait à coup sûr les parties en présence à ne pas céder à leurs tendances naturelles à l’exagération.

— Nous pouvons commencer, reprit la Première. Comme il y a eu de nombreux témoins, je ne pense pas qu’il soit indispensable d’évoquer en détail les circonstances de l’incident. Durant la Fête organisée récemment pour honorer la Mère, Jondalar a trouvé sa compagne Ayla partageant avec Laramar le Don des Plaisirs accordé par la Mère. Tant Ayla que Laramar avaient choisi de s’unir sous le seul effet de leur commun désir. Il n’y a eu ni manifestation de force, ni contrainte d’aucune sorte. Est-ce exact, Ayla ?

La jeune femme ne s’attendait pas à être questionnée aussi vite, à attirer aussi soudainement sur elle l’attention de l’assistance tout entière. Elle en fut surprise, mais, même dans le cas contraire, elle n’aurait pu se résoudre à répondre par un mensonge.

— Oui, Zelandoni, c’est exact.

— Est-ce exact, Laramar ?

— Oui, elle était plus que consentante. C’est elle qui m’a sollicité, répondit l’intéressé.

La Première réprima une légère envie de le mettre en garde contre toute forme d’exagération et préféra poursuivre :

— Et ensuite, que s’est-il passé ?

Elle se demandait si cette question s’adressait plutôt à Ayla ou à Jondalar, mais Laramar s’empressa d’y répondre :

— Tout le monde a pu voir ce qui s’est passé. On venait à peine de commencer quand Jondalar s’est mis à me donner des coups de poing dans la figure.

— Jondalar ?

Le grand blond baissa la tête et déglutit avant de répondre :

— C’est en effet ce qui s’est passé. Quand je l’ai vu avec Ayla, je l’ai arraché à elle et j’ai commencé à le frapper. Je sais que c’était mal. Je n’ai aucune excuse, ajouta Jondalar, sachant au plus profond de son cœur que si la situation se reproduisait, il referait exactement la même chose.

— Sais-tu pourquoi tu l’as frappé, Jondalar ? demanda la Première.

— J’étais jaloux, balbutia-t-il.

— Tu étais jaloux, c’est bien ce que tu viens de dire ?

— Oui, Zelandoni.

— Si tu avais souhaité exprimer ta jalousie, Jondalar, n’aurais-tu pas pu te contenter de les séparer ? Étais-tu obligé de le frapper ?

— Je n’ai pas pu m’en empêcher. Et une fois que j’ai commencé…

Il secoua la tête plutôt que de terminer sa phrase.

— Une fois qu’il a commencé, personne ne pouvait l’arrêter, il m’a même frappé, moi ! intervint le chef de la Cinquième Caverne. Il était hors de lui, comme fou ! Je ne sais pas ce que nous aurions pu faire si ce grand Mamutoï ne s’était pas emparé de lui…

— C’est pour ça qu’il n’a pas hésité à accueillir Laramar, murmura Folara à Proleva, tous ceux qui se trouvaient autour d’elle l’entendant néanmoins. Il est furieux de n’avoir pas pu arrêter Jondi et d’avoir été frappé lorsqu’il a essayé de le faire.

— Et puis il aime bien le barma de Laramar. Mais il y a des chances qu’il découvre rapidement que cet homme n’est pas exactement un cadeau. En tout cas ce n’est pas lui que j’accueillerais en priorité dans ma Caverne, dit Proleva avant de se retourner vers la scène.

— … la raison pour laquelle nous nous efforçons de faire comprendre à quel point la jalousie est un sentiment aberrant, qui peut nous amener à commettre des actes insensés, expliquait la Première. Tu comprends cela, Jondalar ?

— Oui. J’ai été stupide, et j’en suis navré. Je ferai tout ce que tu me demanderas de faire pour expier ma faute. Je veux me racheter.

— C’est impossible, intervint Laramar. Il ne peut pas réparer mon visage, pas plus qu’il n’a pu rendre à Madroman les dents qu’il lui avait cassées.

La Première regarda Laramar d’un air contrarié. Ce genre de réflexion n’était vraiment pas indispensable. Il n’a pas la moindre idée de la provocation qu’a subie Jondalar à l’époque, songea-t-elle, mais elle garda ses réflexions pour elle-même.

— Des dons ont été faits à titre de réparations, dit Marthona d’une voix forte.

— Et j’espère bien qu’on en fera encore, rétorqua Laramar.

— Qu’est-ce que tu attends ? demanda la Première. Quel genre de réparations escomptes-tu ? Fais-nous connaître tes souhaits, Laramar.

— Ce que je souhaite, c’est démolir sa jolie petite gueule, répondit celui-ci.

L’assistance en eut le souffle coupé.

— Je n’en doute pas une seconde, dit la doniate sans se démonter, mais ce n’est pas une solution que la Mère puisse accepter. As-tu d’autres idées sur la façon dont Jondalar pourrait se racheter envers toi ?

La compagne de Laramar se leva et prit la parole :

— Il n’arrête pas de se construire des habitations de plus en plus grandes. Pourquoi tu ne lui demanderais pas d’en construire une nouvelle, plus grande, pour notre famille, Laramar ? demanda-t-elle d’une voix forte.

— Ce serait en effet une possibilité, Tremeda, intervint la Première. Mais où voudrais-tu la faire construire, Laramar ? À la Neuvième ou à la Cinquième Caverne ?

— Pour moi, ce ne serait pas une compensation, répondit Laramar. Je me fiche bien de savoir dans quel genre de logement elle vit. Elle transformerait n’importe quoi en tas d’ordures, de toute façon.

— Tu te fiches de l’endroit où vivent tes enfants, Laramar ? interrogea la Première.

— Mes enfants ? Ce ne sont pas les miens, si ce que tu as dit l’autre jour est vrai. S’ils sont conçus à la suite d’un accouplement, je n’en ai conçu aucun… à part le premier, peut-être. Cela fait des années que je ne me suis pas accouplé et encore moins n’ai partagé les Plaisirs avec elle. Vivre avec elle n’a rien d’un Plaisir, vous pouvez me croire. Je ne sais pas d’où sont venus tous ces enfants, peut-être des Fêtes de la Mère – donnez à un homme suffisamment à boire et même celle-ci lui paraîtra désirable ! –, mais en tout cas ce n’est sûrement pas moi qui les ai conçus. La seule chose que cette femme sache faire mieux que personne, c’est boire mon barma, conclut Laramar avec un ricanement méprisant.

— Ce n’en sont pas moins les enfants de ton foyer, Laramar, le chapitra la Première. Il est de ta responsabilité de pourvoir à leurs besoins. Tu ne peux pas décréter tout simplement que tu ne veux pas d’eux.

— Et pourquoi ne le pourrais-je pas ? Je n’en veux pas. Ils ne sont rien pour moi, et ne l’ont jamais été. Elle ne s’occupe même pas d’eux, alors pourquoi le ferais-je, moi ?

Le chef de la Cinquième Caverne avait l’air aussi horrifié que l’ensemble de l’assistance après les ignobles invectives que venait de proférer Laramar envers les enfants de son foyer.

— Je t’avais bien dit que ce n’était pas vraiment un cadeau, murmura Proleva à sa voisine.

— Et qui, dans ces conditions, devrait prendre soin des enfants de ton foyer, d’après toi ? demanda Zelandoni.

L’ivrogne réfléchit un court instant, le front plissé, avant de répondre :

— Ce n’est pas vraiment mon problème, mais je trouve que Jondalar ferait tout à fait l’affaire. Quoi qu’il propose, il ne pourra pas compenser ce qu’il m’a fait. Il ne pourra pas me rendre mon visage, et je ne pourrai pas avoir le plaisir de lui rendre ce qu’il m’a infligé. Puisqu’il est si désireux de se racheter, qu’il s’occupe donc de cette mégère manipulatrice, de cette feignante, de cette grande gueule et de sa progéniture !

— Il te doit sans doute beaucoup, Laramar, mais c’est probablement demander un peu trop à un homme qui est déjà chargé de famille que de prendre la responsabilité d’une autre, par ailleurs aussi nombreuse que l’est la tienne, intervint Joharran.

— Ne t’inquiète pas, Joharran, je suis prêt à l’assumer, dit Jondalar. Si c’est ce qu’il veut, je le ferai. S’il refuse de prendre la responsabilité de son propre foyer, il faudra bien que quelqu’un la prenne à sa place. Ces enfants ont besoin que quelqu’un se charge d’eux.

— Tu ne crois pas que tu devrais d’abord en parler à Ayla ? interrogea Proleva depuis sa place dans l’assemblée. Avec une telle responsabilité, elle aura moins de temps pour s’occuper de sa propre famille.

De toute façon, ils s’en occupent déjà bien mieux que Laramar ou Tremeda, songea-t-elle.

— Aucun problème, Proleva, Jondalar a raison, intervint Ayla. Je suis moi aussi responsable de ce qu’il a fait subir à Laramar. Je ne me suis pas rendu compte sur le moment des conséquences que cela pouvait avoir, mais ma faute est aussi lourde que la sienne. S’il faut prendre la responsabilité de sa famille pour donner satisfaction à Laramar, alors je pense que nous devons le faire.

— C’est bien ce que tu souhaites, Laramar ? demanda la Première.

— Oui. Si ça me permet de ne plus vous avoir tous sur le dos, pourquoi pas ? répondit Laramar. Je te souhaite bien du plaisir avec elle, Jondalar, ajouta-t-il en éclatant de rire.

— Et toi, Tremeda, qu’en penses-tu ? Cette solution te paraît-elle satisfaisante ? s’enquit Zelandoni.

— Est-ce qu’il me construira un nouvel abri, comme celui qu’il prépare pour elle ? demanda l’intéressée en montrant Ayla du doigt.

— Oui, je veillerai à t’en construire un nouveau, répondit Jondalar. Veux-tu que cela se fasse à la Neuvième Caverne ou à la Cinquième ?

— Ben, si je dois devenir ta deuxième femme, Jondalar, autant que je reste à la Neuvième, répondit la jeune femme d’une voix faussement timide. C’est là que j’ai toujours vécu, de toute façon.

— Entendons-nous bien, Tremeda, fit Jondalar en la regardant droit dans les yeux. Il n’est pas question que je te prenne comme deuxième femme. J’ai dit que j’assumerais la responsabilité de pourvoir aux besoins de tes enfants et aux tiens. J’ai dit que je te construirais un abri. Mes obligations envers toi se limiteront à cela. Je ferai cela pour réparer les maux que j’ai infligés à ton compagnon. Mais tu ne seras en aucun cas ma deuxième femme, Tremeda. C’est bien compris ?

Laramar éclata de rire.

— Ne dis pas que je ne t’ai pas prévenu, Jondalar ! Je t’ai bien dit que ce n’était qu’une mégère manipulatrice. Elle se servira de toi autant qu’elle le pourra ! lança-t-il avec un nouveau ricanement. Mais tu sais, ça peut devenir assez drôle. En tout cas, cela m’amuserait assez de te voir essayer de t’en dépêtrer.

 

 

— Tu es sûre de vouloir te baigner ici, Ayla ? demanda Jondalar.

— C’était notre endroit préféré avant que tu y emmènes Marona, et c’est encore le meilleur pour nager, surtout maintenant que la rivière est si agitée et boueuse en aval. Je n’ai pas eu l’occasion de nager vraiment depuis mon arrivée, et comme nous allons repartir bientôt…

— Mais tu es sûre d’être assez solide pour nager ?

— Absolument, le rassura la jeune femme. Mais ne t’inquiète donc pas. J’ai bien l’intention de passer plus de temps à me dorer sur la rive, au soleil, que dans l’eau. Tout ce dont j’ai envie, c’est de quitter ce camp et passer un peu de temps avec toi, loin de la foule, maintenant que j’ai réussi à convaincre Zelandoni que j’étais suffisamment rétablie. De toute façon, j’envisageais d’aller retrouver sous peu Whinney et de faire une balade avec elle. Je sais que Zelandoni est inquiète, mais vraiment, je vais bien. J’ai simplement besoin de sortir de là et de bouger un peu.

Si elle s’en était voulue de ne pas avoir veillé sur Ayla avec assez d’attention, la Première se montrait maintenant excessivement protectrice, ce qui n’avait pourtant jamais été sa caractéristique première. Se sentant plus qu’un peu responsable d’avoir failli perdre la jeune femme, elle n’était pas prête à ce que cela se reproduise. Jondalar était entièrement d’accord avec elle et pendant un temps Ayla avait apprécié l’attention inhabituelle dont tous deux l’entouraient. Toutefois, au fur et à mesure qu’elle recouvrait sa vigueur, cette préoccupation de tous les instants s’était mise à lui peser. Elle avait bien essayé de convaincre la doniate qu’elle était complètement remise, qu’elle avait repris assez de forces pour pouvoir aller de nouveau nager et monter à cheval, il avait fallu le problème posé par Loup pour que celle-ci accède finalement à sa demande.

Jonayla et les jeunes de son âge préparaient d’arrache-pied avec la Zelandonia une petite fête qu’ils donneraient dans le cadre des cérémonies d’adieu organisées pour clore la Réunion d’Été. Non seulement Loup constituait une distraction lorsque tous les enfants étaient rassemblés, ce qui les empêchait de se concentrer convenablement, mais Jonayla avait du mal tout à la fois à le maîtriser et à retenir ce qu’elle était censée apprendre. Lorsque Zelandoni avait laissé entendre à Ayla que, si le loup était évidemment toujours le bienvenu, il était peut-être préférable qu’elle le garde avec elle, cela avait donné à la jeune femme le prétexte dont elle avait besoin pour convaincre la doniate de la laisser emmener Loup, et les chevaux, prendre un peu d’exercice à l’écart du campement.

Donc, dès le lendemain matin, la jeune femme avait veillé à partir le plus tôt possible avant que Zelandoni ne change d’avis. Jondalar avait abreuvé et bouchonné les chevaux avant le repas du matin et lorsqu’il avait attaché les couvertures sur Whinney et Rapide, puis passé leur licou à Rapide et à Grise, les animaux avaient compris qu’ils étaient de sortie et en avaient piaffé d’impatience. Même s’ils n’envisageaient pas de la monter, Ayla ne voulait pas laisser la pouliche seule ; elle était sûre que Grise se sentirait abandonnée s’ils ne la prenaient pas avec eux : les chevaux appréciaient la compagnie, surtout celle de leurs semblables, et Grise avait elle aussi besoin de prendre de l’exercice.

Lorsque Jondalar saisit une paire de paniers destinés à être accrochés sur l’arrière-train d’un cheval, Loup le regarda avec espoir. Les porte-bagages étaient pleins d’objets divers et de mystérieux paquets enveloppés dans le matériau marron clair à base de fibres de lin tissées par Ayla pour passer le temps durant sa convalescence. Marthona s’était débrouillée pour lui faire fabriquer un petit rouet et lui avait appris à tisser. L’un des paniers était recouvert d’une grande pièce de cuir destinée à être étalée par terre, l’autre par les peaux souples, de couleur jaunâtre, servant à se sécher, que leur avaient offertes les Sharamudoï.

Loup bondit en avant lorsque l’homme lui fit signe qu’il pouvait les accompagner. Près de l’enclos aux chevaux, Ayla s’arrêta pour ramasser quelques baies bien mûres pendant de buissons aux extrémités rouges. Elle frotta contre sa tunique les fruits tout ronds, d’un bleu profond, remarqua que leur peau tirait nettement sur le noir, les fourra dans sa bouche et les croqua avec un sourire de satisfaction, savourant leur goût sucré et juteux. Elle grimpa sur une souche pour monter sur Whinney, heureuse d’être simplement dehors, sachant qu’elle ne serait pas obligée de réintégrer avant un moment le bâtiment de la Neuvième Caverne. Elle était sûre de connaître dorénavant par cœur la moindre craquelure fendillant les motifs peints ou sculptés qui décoraient chacun des solides piliers en bois soutenant le toit de chaume de leur habitation, la plus petite trace de suie noircissant les bords du trou permettant à la fumée de s’échapper. Elle était heureuse de revoir le ciel et les arbres, un paysage préservé de toute présence humaine.

Dès qu’ils se mirent en chemin, Rapide se montra exceptionnellement turbulent, et même un peu hargneux. Cette indiscipline se communiqua aux deux juments, les rendant plus délicates à maîtriser. Lorsqu’ils eurent franchi la zone boisée, Ayla ôta son licou à Grise de façon à pouvoir avancer au rythme qu’elle souhaitait et, par un accord tacite, Jondalar et elle lancèrent leur monture au galop, jusqu’à atteindre leur allure maximale. Lorsque les animaux décidèrent à l’unisson de ralentir, ils avaient épuisé leur excès d’énergie et étaient redevenus plus calmes, ce qui était loin d’être le cas pour Ayla. La jeune femme se sentait euphorique. Elle avait toujours aimé galoper à fond et se sentait d’autant plus excitée par cette course folle qu’elle sortait d’une longue période de réclusion.

Côte à côte, ils avancèrent à un rythme plus raisonnable dans un paysage délimité par des collines assez élevées, des falaises de craie et des vallées encaissées. Bien que le soleil à son zénith fût encore très chaud, la saison estivale touchait visiblement à son terme : les matinées étaient souvent d’une fraîcheur mordante, les soirées nuageuses, voire pluvieuses. Du beau vert qu’elles arboraient au summum de l’été, les feuilles viraient au jaune, parfois même au rouge automnal. Les herbages des vastes plaines passaient de la profondeur de l’or ou de la richesse des bruns à la pâleur des jaunes ou à l’ocre tirant sur le gris : ce seraient désormais les couleurs dominantes du foin naturel qui peuplerait les champs durant presque tout l’hiver. Toute cette palette de coloris réjouissait Ayla, mais c’étaient les pentes boisées des collines exposées au sud qui lui coupaient le souffle : de loin, les bosquets et les taillis lui apparaissaient comme autant de bouquets de fleurs aux couleurs éclatantes.

Sans cavalier sur le dos, Grise se contentait de suivre le rythme, s’arrêtant çà et là pour paître, tandis que Loup furetait un peu partout, fourrant son museau dans des terriers, des buissons, des herbes hautes, suivant les traces de fumets ou des bruits que lui seul était en mesure de percevoir. Leur itinéraire formait un grand cercle qui depuis le cours de la Rivière, vers l’amont, finirait par les ramener au campement. Mais, plutôt que de retourner vers le site de la Réunion d’Été, ils préférèrent couper vers le ruisseau qui serpentait dans les bois jusqu’au nord du campement de la Neuvième Caverne. Le soleil était au zénith lorsqu’ils arrivèrent devant la mare profonde qui occupait un méandre du petit cours d’eau. Au bord, des arbres offraient leur ombre protégeant du soleil la discrète plage de gravier sablonneux.

Le soleil était d’une chaleur agréable lorsque Ayla passa sa jambe sur le dos de Whinney et se laissa glisser à terre. Elle dénoua les paniers, ôta la couverture de cheval et, tandis que Jondalar étendait la grande pièce de cuir, elle sortit un sac aux fines mailles tressées et fit manger à sa jument gris-jaune un mélange de graines, d’avoine pour l’essentiel, avant de la caresser et de la grattouiller avec affection. Au bout d’un moment, elle réitéra l’opération avec Grise, qui la poussait du museau pour attirer son attention.

De son côté, Jondalar nourrit et flatta Rapide. L’étalon était encore plus difficile à maîtriser que d’habitude. Même si les graines et les caresses le calmèrent quelque peu, Jondalar n’avait pas envie de devoir se lancer à sa recherche s’il décidait de s’éloigner un peu trop. À l’aide d’une longe nouée à son licou, il attacha le cheval à un arbuste. Jondalar se rappela soudain qu’il s’était demandé s’il ne devait pas laisser l’étalon se faire une place au sein des troupeaux qui rassemblaient ses congénères dans les vastes plaines et si ce moment n’était pas venu, mais il décida en fin de compte de n’en rien faire : il n’était absolument pas déterminé à se priver de la compagnie du magnifique animal.

Loup, qui était parti vaquer à ses occupations, surgit soudain de derrière un bosquet. Ayla avait apporté pour lui un bel os encore plein de viande, mais avant de le retirer du panier elle décida de s’occuper un peu de l’animal : elle tapota son épaule et se prépara à recevoir le choc du poids de l’énorme bête. Celle-ci sauta sur ses pattes arrière et se tint en équilibre en posant ses pattes avant sur les deux épaules de la jeune femme, avant de lui lécher le cou et de prendre sa mâchoire entre ses dents, avec une grande douceur. Elle reproduisit le même manège avec l’animal, puis lui fit signe de se remettre à quatre pattes avant de s’agenouiller devant lui et de saisir sa tête entre ses deux mains. Elle le flatta, le gratta derrière les oreilles, caressant à rebrousse-poil l’épaisse fourrure de son cou avant de s’asseoir carrément par terre et de le serrer très fort contre elle. Elle savait que le loup avait été là pour elle, lui aussi, au même titre que Jondalar, alors qu’elle se remettait de son périlleux voyage vers le Monde des Esprits.

Même s’il en avait été le témoin d’innombrables fois, le grand homme blond s’émerveillait toujours de la façon dont elle se comportait avec le loup : car s’il se sentait lui-même tout à fait à l’aise avec l’animal, il lui arrivait de se rappeler que Loup était une bête fauve. Un chasseur. Un tueur. Ses semblables traquaient, tuaient, dévoraient des animaux bien plus gros qu’eux. Loup aurait pu tout aussi bien déchiqueter la gorge d’Ayla que la caresser tendrement de ses dents, et pourtant Jondalar se fiait absolument à cet animal pour tout ce qui concernait cette femme et leur enfant. Il avait pu percevoir l’amour que Loup ressentait pour elles et, tout en étant incapable de concevoir comment une telle chose était possible, il la comprenait au plus profond de lui-même. Il était par ailleurs intimement persuadé que Loup éprouvait pour lui un sentiment aussi profond que celui que lui-même éprouvait pour l’animal. Celui-ci lui faisait confiance dans ses rapports avec la femme et l’enfant qu’il aimait, mais Jondalar avait la conviction absolue que si, à un moment, Loup croyait l’homme sur le point de faire du mal à l’une ou à l’autre, il n’hésiterait pas une seconde à l’en empêcher avec tous les moyens dont il disposait, même si cela impliquait de le tuer. Et lui-même ferait la même chose.

Jondalar aimait beaucoup regarder Ayla avec son loup. Il est vrai qu’il adorait la regarder, quoi qu’elle fasse, surtout maintenant qu’elle était redevenue complètement elle-même et qu’ils étaient de nouveau ensemble. Il s’était senti affreusement malheureux lorsqu’il l’avait quittée pour partir avec la Neuvième Caverne à la Réunion d’Été, et elle lui avait terriblement manqué, malgré sa brève passade avec Marona. Après avoir eu la certitude de l’avoir perdue, à cause de ce qu’il avait fait et par la faute de ces racines dont elle avait bu le suc, il avait du mal à croire qu’ils étaient de nouveau unis. Il s’était si bien mis dans la tête qu’il l’avait perdue pour toujours qu’il n’arrêtait pas de la contempler, de lui sourire, de la regarder lui rendre son sourire, afin de se persuader qu’elle était toujours sa compagne, la femme de sa vie, qu’ils chevauchaient tous les deux, qu’ils nageaient côte à côte, bref qu’ils étaient tout simplement ensemble, comme si rien ne s’était passé.

Ce qui l’amena à repenser au long voyage qu’ils avaient mené à bien tous les deux, aux aventures et aux gens qu’ils avaient rencontrés dans leur périple. Il y avait les Mamutoï, ces chasseurs de mammouths qui avaient adopté Ayla, les Sharamudoï, ce peuple au sein duquel son frère Thonolan avait trouvé une compagne, même si, par la suite, la mort de celle-ci avait anéanti son esprit. Comme tant d’autres, Tholie et Markeno auraient bien aimé qu’ils restent parmi eux, surtout après qu’Ayla avait fait montre de ses talents de guérisseuse pour redresser le bras cassé de Roshario, qui se réparait mal. Ils avaient également fait la connaissance de Jeran, un chasseur hadumaï, le peuple à qui il avait rendu visite en compagnie de Thonolan. Sans oublier bien sûr les S’Armunaï, dont les chasseresses, les Femmes-Louves, s’étaient emparées de lui. Attaroa, leur chef à toutes, avait tenté de se débarrasser d’Ayla et Loup l’en avait empêchée en recourant à la seule solution qui lui était offerte : en la tuant. Et puis il y avait eu les Losadunaï…

Il se rappela soudain leur halte chez les Losadunaï, lors de leur long voyage de retour depuis les terres des Chasseurs de Mammouths : ceux-ci vivaient de l’autre côté des hauts plateaux glacés, à l’est, là où la Grande Rivière Mère prenait sa source, et leur langue présentait assez de points communs avec le zelandonii pour qu’il ait pu aisément en comprendre l’essentiel. Même si Ayla, avec son don pour les langues, l’avait apprise plus vite et maniée encore mieux que lui. Parmi les voisins des Zelandonii, les Losadunaï faisaient partie de ceux qu’ils connaissaient le mieux, et de nombreux voyageurs des deux peuples se rendaient souvent visite, même si parfois la traversée des glaciers n’allait pas sans risque.

Lors de leur visite, une Fête de la Mère avait eu lieu, et juste avant qu’elle ne commence, Jondalar et Losaduna avaient participé à une cérémonie privée. Jondalar avait demandé à la Grande Mère un enfant d’Ayla, un enfant né à son foyer, à partir de son esprit, ou de son essence, comme Ayla l’avait toujours affirmé. Il avait à cette occasion présenté une requête particulière : il avait demandé, si Ayla tombait enceinte d’un enfant de son esprit, qu’il puisse avoir la certitude que cet enfant était bien de lui. Jondalar s’était souvent entendu dire qu’il bénéficiait des faveurs de la Mère, au point qu’aucune femme ne pouvait rien lui refuser, pas même Doni Elle-même.

Il avait l’absolue conviction que, lorsque Ayla s’était égarée dans les immensités du néant après avoir absorbé une fois encore le suc des si redoutables racines, la Grande Mère avait accédé à sa supplique passionnée, qu’Elle lui avait accordé ce qu’il souhaitait, ce dont il rêvait, ce qu’il demandait depuis si longtemps, et intérieurement il La remercia une fois de plus. Mais il comprit aussi, tout à coup, que la Mère avait également accédé à la requête qu’il Lui avait adressée lors de la cérémonie spéciale avec Losaduna : il savait désormais que Jonayla était sa fille, l’enfant de son essence, et il en fut fort aise.

Il comprenait désormais que tous les enfants qu’Ayla viendrait à mettre au monde seraient les siens, seraient issus de son esprit, de son essence, et cela parce que c’était elle et non une autre, parce qu’elle l’aimait, et cette certitude l’enchantait. Il comprit aussi qu’il n’aimerait qu’elle, quoi qu’il advienne. Mais il savait également que ce nouveau Don de la Connaissance allait changer bien des choses, et il ne put s’empêcher de se demander jusqu’à quel point.

Il était loin d’être le seul dans ce cas. Tout le monde y réfléchissait, une personne en particulier : installée paisiblement dans le local de la Zelandonia, la femme qui était la Première parmi Ceux Qui Servent la Mère songeait à ce nouveau Don de la Connaissance.

Elle savait qu’il allait changer le monde.

 

FIN

Le Pays Des Grottes Sacrées
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